La légende

« Mia Caba »

Comme tous les peuples, êtres humains avant tout et après tout… Nous avons tous nos légendes.

Fondateurs de Rome, Rémus et Romulus, par exemple, auraient été allaités par une louve : plus chic que par une prostituée. Les Juifs sont le peuple élu, ont toujours souffert, et ont fini par trouver leur terre promise. Les Américains ? Des pionniers partis pour le Nouveau Monde pour échapper aux tyrannies européennes, partageant un rêve au-delà de leurs origines multiples : leur quête de liberté, d’une vie meilleure, ayant réussi au point de devenir la nation que toutes les autres regardons. Les Chinois sont l’empire du Milieu, l’empire céleste ; les Baruya, les enfants du soleil ; le Lesotho, l’empire dans le ciel… Y a que nous toujours… Tous chauvins !

Les Aztèques aussi avaient les leurs. Partis d’Aztlan, une île inconnue, située au nord vraisemblablement, dont le nom veut dire lieu de garces en nahuatl —d’où leur gentilé : Aztèques —ils ont déambulé pendant près d’un siècle et demi à la recherche d’un aigle qui, perché sur un figuier de Barbarie, serait en train de dévorer un serpent, conformément aux instructions de leur protecteur, dieu solaire et de la guerre, Huitzilopochtli : colibri gaucher, fils de Coatlicue, frère de Coyolxauhqui, la lune, et des Centzonhuitznahua, les étoiles…

Le signe divin, devenu les armoiries du Mexique que l’on voit au milieu du drapeau tricolore : vert, blanc et rouge, ils ont fini par le trouver sur un îlot du lac de Texcoco, au beau milieu d’une zone marécageuse dont aucun autre peuple n’avait voulu, où ils fondèrent Tenochtitlan, centre de leur empire né sous le nez des ennemis, alors plus puissants, après avoir dompté la Nature tout comme les bâtisseurs de Versailles ou de Saint-Pétersbourg l’ont fait quelques siècles plus tard. Quatre chaussées principales reliaient la Venise préhispanique à la terre ferme ; au marché de Tlatelolco, selon Hernán Cortés, le conquistador de la Mésoamérique, celui qui sanglota pendant la noche triste, la nuit triste où lui et ses hommes et leurs alliés indiens, rancuniers envers les Aztèques, ont dû fuir sur lesdites chaussées, quelques trente mille âmes se rendaient quotidiennement ; pas moins de soixante-dix-huit bâtiments donnaient forme à l’espace sacré de la ville dont les ruines deviendraient les fondations de la ciudad de los palacios, comme on l’évoquait jadis, ou la región más transparente, selon le titre conçu par Carlos Fuentes : la Ciudad de México, où je suis né, dont le centre historique, bâti en pierre pendant, pile, trois cents ans de Colonia, assez défiguré aujourd’hui, s’enfonce dans les nappes phréatiques d’année en année, la Nature étant têtue.

Or cette idée des légendes m’est venue à l’esprit en France, qui a aussi ses ancêtres, ses héros, tant de lieux de mémoire. Les rues de Paris portent les noms des batailles remportées qui l’ont forgée ; d’hommes, surtout des hommes, qui se sont illustrés en envoyant d’autres vers la gloire et vers la mort, en-deça et au-delà de ses frontières. Grâces en soient rendues à mon ex, dont, un jour, la grand-mère avait été une comtesse vénitienne ; l’autre, la grand-mère avait été Polonaise ; puis un autre, la grand-mère avait été Tchèque en fait. Je trouvais qu’elle avait eu beaucoup de grand-mères. Et quand sa fille revenait des week-ends passés chez son père, au fait, ils descendaient de Napoléon… Ces histoires me rappelaient les récits de mes parents à propos de leurs grand-parents, qui ont vécu dans le Mexique révolutionnaire : le grand-père de mon père, qui vivait dans l’état de Coahuila, parti del otro lado : aux États-Unis, pour échapper à Pancho Villa, qui voulait son or, et qui a dû le lui prendre tout puisqu’il ne nous en est resté rien, tandis qu’à la même époque, dans l’état de Michoacán, la grand-mère de ma mère dormait avec son pistolet… sous l’oreiller.

Pourquoi alors ne pourrais-je aussi avoir mes légendes ?

L’une d’entre elles, par exemple, dit qu’il a plu le jour où je suis né, juste au lendemain de la mort du père de ma mère, d’ailleurs, et qu’il a toujours plu les jours de mon anniversaire. Celle-ci s’avère fausse —c’est joli : s’avère + fausse —au moins pendant l’été français.

J’en ai une autre, plus drôle, qui dit que la première chose que j’ai faite, tout juste sorti du ventre de ma mère, fut pipi. Mais je vous épargne ce détail : où le jet est allé tomber…

Or celle qui a son intérêt ici, c’est que la première chose que j’ai dite fut mia caba. Traduction par mes parents : Mira el caballo. En français ? Regarde le cheval.

Je suppose que j’ai dû dire d’abord mamá, papá, bien d’autres choses. Mais concédez-le moi : La première chose que j’ai dite, ou la première après maman et papa, selon la légende, fut regarde le cheval, un cheval, mira el caballo : mia caba.

Image :
L’auteur montant l’Uyuyuy, qui méritait son nom mieux qu’aucun autre, à l’occasion de l’une des évaluations équestres au Rancho La Trinidad.
Derrière, ma sœur.

© LASO

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